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L’Europe prépare sa stratégie de transport par drones
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Le marché des services de drones est en constante progression. Si les systèmes d’aéronefs sans pilote sont déjà activement utilisés dans le secteur de la défense depuis 30 ans, sur le plan civil les services aériens innovants se développent rapidement, pour des opérations aériennes (surveillance, inspection, imagerie...), ainsi que pour un tout nouveau marché émergent appelé Mobilité aérienne innovante.
La mobilité aérienne innovante a trait à des opérations avec des aéronefs (avec et sans pilote) d’un nouveau type conçus pour offrir une nouvelle mobilité aérienne des personnes et du fret, en particulier dans les zones (urbaines) congestionnées, sur la base d’une infrastructure aérienne et terrestre intégrée. Ces nouveaux véhicules sont considérés comme représentant un développement majeur pour le transport, en particulier à l’intérieur ou à l’extérieur des environnements urbains, pouvant contribuer à réduire les émissions et à accroître la sécurité routière, tout en fournissant de nouveaux services à toutes les communautés.
Dans le sillage de sa stratégie de mobilité durable et intelligente adoptée en décembre 2020, la Commission européenne a annoncé la préparation d’une « stratégie 2.0 pour un écosystème d’aéronefs sans pilote, intelligent et durable en Europe » qui sera adoptée d’ici fin 2022.
La Commission sollicite la vision d’un Groupe de leaders et experts
En vue de formuler des recommandations pour la rédaction de cette stratégie, la Commission européenne a mobilisé autour de la DG MOVE (Direction Générale pour la mobilité et le transport) un Groupe de leaders d’entreprises (dont Airbus, SAFRAN, Aéroport de Paris, RATP…) et d’experts du secteur qui ont formulé leur vision pour le transport par drones en Europe à l’horizon 20301.
D’après eux, un large éventail de types distincts de drones et de cas d’utilisation coexisteront à l’avenir. Les drones feront alors partie intégrante de la vie des citoyens de l’UE. Ils seront utilisés pour fournir de nombreux services au profit d’utilisateurs finaux diversifiés : services d’urgence, inspections et surveillance, utilisation des drones comme plates-formes volantes de l’Internet des objets (IoT) pour recueillir des données, ainsi que pour la livraison de marchandises. Les services de mobilité aérienne innovante auront également commencé à fournir des services réguliers de transport de personnes dans diverses villes européennes et pour certaines liaisons régionales, en utilisant initialement des avions avec un pilote à bord, mais dans le but d’automatiser entièrement leurs opérations.
La mobilité aérienne urbaine aura commencé à faire partie intégrante du futur écosystème de mobilité intelligente multimodale urbaine, et l’infrastructure permettant ces services sera entièrement déployée et intégrée. Les services de drones intégreront ou compléteront efficacement les systèmes de transport existants et contribueront à la décarbonisation du système de transport, tout en minimisant leur impact sur l’environnement tout au long de leur cycle de vie.
L’écosystème de drones créera des emplois, favorisera et protégera le savoir-faire technologique européen et offrira des opportunités de croissance à l’économie de l’UE dans son ensemble. L’industrie des drones de l’UE deviendra sûre, viable et accessible aux citoyens et aux entreprises de l’UE grâce à une participation active d’acteurs de toutes tailles, y compris une variété de PME diversifiées.
1 - https://transport.ec.europa.eu/news/drone-leaders-group-supports-preparation-drone-strategy-20-2022-05-02_en
Les objectifs à horizon 2030
Le Groupe de leaders et experts estime qu’il est nécessaire de formuler un ensemble d’objectifs d’ici 2030 pour mesurer les progrès accomplis dans la réalisation de la Vision, tels que :
- Nombre de villes/régions desservies par des services commerciaux réguliers de mobilité aérienne innovante
- (objectif pour 2030 : au moins 45 dans l’UE et au moins un par État membre)
- Nombre d’États membres dans lesquels des services de santé d’urgence (échantillons médicaux, défibrillateurs, ambulances aériennes) seront fournis à l’aide de drones
- (objectif : services utilisés dans au moins 20 États membres)
- Utilisation de l’espace aérien européen par des opérations aériennes commerciales de drones
- (objectif : au moins 100 000 par jour)
- Niveau de sécurité atteint
- (objectif : le rapport entre le nombre d’accidents et le nombre de vols de drones est aussi faible que pour l’aviation habitée)
- Les villes de plus de 100 000 habitants et les infrastructures critiques auront évalué le risque pour la sécurité lié aux incidents de drones et mis en place des procédures et des mesures qui les protégeront de tels incidents de manière proactive et réactive
- (objectif : 100 %)
- Nombre d’accords de prêts accordés par la Banque européenne d’investissement (BEI) aux acteurs du secteur des drones
- (objectif : pourcentage accru de 10 % d’une année sur l’autre)
- Émissions de carbone des opérations de mobilités aériennes innovantes urbaines et régionales
- (objectif : 0 %)
- La technologie des drones civils et militaires utilisés en Europe sera conçue et/ou produite en Europe
- (objectif : au moins 50 % de la valeur totale des drones utilisés en Europe)
- Nombre d’universités / écoles techniques proposant des matières ou des spécialisations en drones
- (objectif : au moins 40 dans l’UE et un par État membre)
- Chiffre d’affaires de l’écosystème global des drones et sa contribution au PIB de l’UE
- (objectif : au moins 15 milliards d’euros).
Le Groupe de leaders et experts formule plusieurs recommandations pour atteindre ces objectifs, parmi lesquelles :
Mettre en place des démonstrateurs
Pour démontrer les progrès technologiques, acquérir des expériences pratiques et soutenir les efforts de déploiement collaboratifs visant à surmonter les « désavantages du premier arrivé », le Groupe considère que des programmes de démonstration à l’échelle de l’UE seraient essentiels. Si l’on veut que des champions européens émergent, il est essentiel qu’ils puissent se développer au-delà des frontières nationales et opérer dans plusieurs États membres.
Les démonstrations à l’échelle de l’UE sont un outil essentiel pour encourager des mises en œuvre cohérentes. Ils contribuent également à accroître l’information des parties prenantes, comme les villes, qui ne sont pas familières avec les drones et facilitent leur introduction. Ces démonstrations permettent également d’identifier et de déployer les meilleures pratiques. A cet égard, il serait utile de créer une base de données sur les bonnes pratiques pour toutes les parties prenantes, y compris des outils de soutien dédiés aux autorités publiques aux niveaux national et local.
L’écosystème des entreprises opérant dans le secteur des drones civils étant principalement composé de petites ou très petites entreprises, la mise en place de mécanismes de financement spécifiques, destinés aux nouvelles entreprises impliquant des entreprises de l’UE, y compris des PME, pour soutenir leurs activités de recherche et d’innovation est particulièrement importante.
Faire évoluer le cadre règlementaire
Le Groupe de travail estime que l’UE devrait entamer le processus de révision des règles aériennes afin d’assurer une intégration harmonieuse entre le trafic habité et non habité, ainsi qu’entre le trafic généré par les mobilités aériennes innovantes et le trafic aérien régulier, permettant aux exploitants d’aéronefs avec et sans équipage à bord ainsi qu’à l’État, y compris les aéronefs militaires, d’opérer librement et en toute sécurité dans le même espace aérien ou de transiter entre tous les espaces aériens requis.
La question de l’accès au marché devrait également être abordée en tenant dûment compte de la situation du secteur des drones. Actuellement, les conditions économiques et financières pour obtenir une licence d’exploitation de transporteur aérien communautaire sont définies dans le règlement (CE) n° 1008/2008. Le présent règlement couvre le transport de passagers, de fret et de courrier et est donc également potentiellement applicable aux opérateurs de drones. Toutefois, ces règles, qui ont été conçues à l’origine pour couvrir les grandes entreprises de transport aérien commercial, pourraient être disproportionnées dans le contexte des services par drones. Le Groupe serait favorable à une révision du présent règlement afin de garantir un accès équitable au marché et d’établir des exigences communes mieux adaptées à la situation économique et financière des entreprises de drones.
Le cadre réglementaire devrait faciliter les essais en vol en conditions réelles afin de favoriser l’introduction de technologies innovantes. Un cadre permettant aux projets de recherche et de démonstration d’effectuer leurs essais sans avoir à se conformer à toutes les exigences réglementaires applicables aux opérations normales dans une zone géographique, soutiendrait à la fois les technologies innovantes et les PME.
Une autre préoccupation qui est apparue est le manque de coordination/harmonisation entre les autorités compétentes dans la mise en œuvre des règles relatives aux drones chaque fois que les règles de l’UE laissent place à l’interprétation. La flexibilité prévue dans le cadre réglementaire de l’UE pour les drones pourrait conduire à des interprétations et des approches différentes de la part des États membres.
Se prémunir d’une utilisation malveillante des drones
Les drones peuvent poser des risques pour la sécurité et constituer une préoccupation publique majeure en raison d’une opération potentiellement dangereuse, de dommages aux personnes et aux biens. Les vols de drones non autorisés restent un problème, en particulier autour des aéroports commerciaux et des infrastructures critiques.
L’UE devrait se concentrer sur le développement de drones de pointe avec une sécurité élevée. Dans cette optique, le Groupe de leaders et experts recommande le développement d’un label « European Trusted Drone ». Le label devrait être délivré par une autorité compétente après qu’un fabricant a fourni la preuve qu’un drone spécifique satisfait à un ensemble d’exigences convenues, en ce qui concerne, par exemple, la fourniture d’une liaison de communication sécurisée, l’identification sécurisée et l’utilisation de codes open source. Cela permettrait à tout utilisateur final en Europe d’acheter ces drones en toute confiance.
À plus long terme, le Groupe recommande l’adoption d’une « loi européenne sur les drones » qui exigerait que les entités publiques n’achètent et n’utilisent que des drones ayant obtenu le label Européen de drones de confiance. Le Groupe estime qu’il reste encore beaucoup à faire en matière de protection des infrastructures critiques. Il existe déjà de bonnes lignes directrices, par exemple de l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), sur la façon de gérer les incidents de drones dans les aéroports.
Toutefois, il n’existe pas de législation uniforme de l’UE, par conséquent, les États membres s’appuient sur leurs cadres juridiques nationaux existants, et les systèmes de signalement des incidents sont divergents d’un État membre à l’autre. Le Groupe recommande à la Commission de fournir davantage d’orientations et de partage d’informations au niveau de l’UE aux autorités publiques aux niveaux national et régional sur la manière de détecter, de suivre, d’identifier, de neutraliser et d’atténuer les menaces provenant des drones non coopératifs et de définir les rôles et les responsabilités en termes de détection.
La cybersécurité pour prévenir le détournement de drones, l’usurpation d’identité, etc., est vitale, et les autorités devraient être en mesure de vérifier que le système respecte strictement les exigences de cyber protection.
Favoriser l’acceptabilité des drones par la population
Bien que les drones soient parfois perçus négativement, une étude récente de l’AESA sur leur acceptabilité sociale a mis en évidence une attitude globalement positive du public. Cependant, il existe encore des préoccupations importantes liées à la sûreté, à l’environnement et à la sécurité en particulier. Il est nécessaire de tirer les leçons du succès des services de micromobilité (trottinettes électriques en particulier) en termes de perception du public et de gestion des externalités, afin d’éviter des conflits similaires dans le déploiement des drones.
Les drones devraient être promus en tant que moyen de permettre la continuité des services publics, des missions de protection et de sauvetage ainsi que des services dans les zones reculées et difficiles d’accès. Les administrations locales devraient être impliquées et traitées comme un partenaire clé pour l’acceptation sociale. Une communication plus forte est nécessaire pour distinguer les drones commerciaux des jouets et mettre en évidence les progrès satisfaisants réalisés dans la mise en place d’un cadre réglementaire de sécurité efficace. L’acceptation sociétale sera accrue en démontrant que les drones peuvent contribuer de manière significative à la décarbonisation des transports et à la réduction de la pollution atmosphérique, en particulier dans les zones urbaines.
Les mesures d’atténuation du bruit visant à limiter l’impact sur les citoyens survolés devraient être pleinement prises en considération lors de la conception des itinéraires. L’impact sur les performances des entreprises, si les itinéraires sont étendus pour atténuer la pollution sonore / visuelle, doit être mis en balance avec le risque global de rejet des opérations par les communautés locales.
Le choix de l’emplacement des vertiports, qui permettra aux drones autonomes de livraison de colis d’opérer à partir de sites physiquement proches des citoyens, doit inclure les parties prenantes au-delà de la communauté aéronautique traditionnelle. L’emplacement de nouvelles infrastructures dans l’environnement urbain devrait être systématiquement analysé, en trouvant un équilibre entre les exigences de localisation et d’autres aspects tels que les nuisances pour le voisinage et la pollution visuelle afin d’éviter de compromettre l’acceptation sociale. La connectivité avec les aéroports locaux et les autres pôles modaux, y compris avec les moyens de transport publics, devrait être prioritaire.
Développer les connaissances, former le personnel et renforcer les compétences
Le Groupe considère qu’il existe un risque de pénurie d’experts du domaine tant au niveau local que national et recommande aux États membres, à l’industrie et aux partenaires sociaux d’élaborer une feuille de route pour le développement des connaissances, des aptitudes et des compétences en matière de services de drones, sur la base d’une évaluation des besoins.
Les exploitants devront être responsables de multiples tâches couvrant la navigation, le contrôle de vol, la communication, la surveillance du système et la gestion des missions, ce qui nécessite d’envisager des procédures de formation spécifiques. Les démonstrateurs à grande échelle pourraient fournir une solution efficace pour répondre à divers types de besoins de formation.
En outre, le développement de simulateurs de réalité virtuelle pour les opérations pourrait fournir des moyens sûrs d’acquérir de l’expérience. Le Groupe recommande la mise en place de programmes d’éducation et de formation spécifiques aux technologies des drones, aux cadres réglementaires et à l’intégration aux plans de mobilité urbaine durable dans tous les États membres.
De tels programmes à travers l’Europe favoriseraient les compétences et le progrès technologique, mais augmenteraient également la sensibilisation et l’acceptation du public à l’utilité des drones. Le Groupe encourage les autorités nationales compétentes à se prévaloir des ressources et des capacités de formation adéquates pour que son personnel puisse approuver rapidement le lancement et le déploiement d’opérations de drones aux niveaux national et local.
La réglementation des drones n’est pas toujours facile à comprendre par les autorités locales (villes, métropoles, communautés, etc.), qui manquent de connaissances de base sur l’écosystème de l’aviation. Par conséquent, des mesures de renforcement des capacités devraient être prises pour améliorer la compréhension et la pratique des administrations locales des règles en place afin de soutenir l’approbation des opérations, la certification et la surveillance de la sécurité.
Enfin, le Groupe souligne que les États membres devraient assurer une formation suffisante du personnel concerné, y compris les autorités locales, afin de se préparer davantage à identifier les menaces de drones non coopératifs et à y réagir.